Aidant attitude: “Les Bobos à la ferme, un projet d’innovation sociale”

Publié par lesbobosalaferme le

Aidant attitude, Nathalie Cuvelier

Cet article a été rédigé par Nathalie Cuvelier et publié sur Aidant attitude le 20 septembre. Nous vous le partageons ici car nous le trouvons très bien rédigé et il évoque avec sensibilité et clairvoyance la genèse du Laboratoire de répit et des Bobos à la ferme. Il est aussi une clé essentielle pour comprendre quelles sont nos motivations pour l’organisation de la Journée Nationale des Aidants à Montreuil-sur-Mer. Merci Nathalie!

Avant la naissance de leur premier enfant, Élodie et Louis étaient des « bobos », trentenaires actifs et très libres, adeptes de voyages et sorties entre amis. Ils commençaient à  envisager un retour aux sources, plus près de la nature, mais c’est la maladie d’Andréa qui les a fait basculer d’une intention bien-pensante à la décision radicale de quitter une vie parisienne qui n’avait soudainement plus de sens avec le handicap de leur fille. Et monter « Les Bobos à la Ferme », un projet ambitieux d’innovation sociale.

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Depuis, ils se sont lancés avec l’énergie du désespoir et une grande conviction dans un projet d’accueil en gîtes, axé sur le tourisme, le bien-être et l’inclusion des personnes en situation de handicap et de leurs aidants. Entre deux rendez-vous et plusieurs réponses à appel à projet pour la construction des gîtes, Élodie a accepté de partager ce qui la pousse à s’engager auprès des aidants pour porter leur voix, dans les Hauts de France et à Paris ; pour porter aussi la voix d’Andréa qui ne sera jamais, comme le dit Louis, « une citoyenne à part entière »…

C’est dans un petit village du Montreuillois, dans le Pas-de-Calais, que Louis et Élodie cheminent l’un à côté de l’autre et se réinventent une vie avec Andréa. A plusieurs reprises, Élodie parlera de « cette enfant extraordinaire qui va chercher l’extraordinaire en nous ». Pour bien comprendre le chemin parcouru par le jeune couple, il est nécessaire, comme dans toute histoire d’aidant, de revenir au moment où la maladie infléchit sans préavis le cours d’une vie. « On a toujours fait le choix de carrières ouvertes sur les autres dans des secteurs qui ont du sens pour nous, le médico-social et l’économie social et solidaire. On commençait à se projeter dans un projet qui nous ressemblerait davantage, avec des valeurs de partage et un retour vers une vie plus authentique mais peut-être qu’on ne l’aurait jamais fait sans Andréa. » Le fait d’avoir un enfant à plus de 30 ans était un acte réfléchi mais avoir un enfant en situation de handicap les a mis face à des contradictions et des responsabilités auxquelles rien ne les avait préparés. « On a mis un an et demi à se rejoindre dans ce que nous vivions. Pas étonnant qu’autant de couples se séparent. Il faut pourtant accepter, au sein du couple, que l’autre chemine à son rythme. »

“S’échapper d’une réalité trop lourde à gérer”

Élodie peut aujourd’hui parler avec suffisamment de recul de l’arrivée de cette enfant tellement désirée qui pourtant pleurait beaucoup, beaucoup trop pour ne pas s’inquiéter et aller de médecins en médecins peu aidants, jusqu’au jour où le diagnostic d’une maladie orpheline a été posé, « une maladie neurodégénérative sans nom ».

Aidant attitude, Nathalie Cuvelier

« J’ai ressenti un grand désespoir, une très grande fatigue et un fort sentiment de culpabilité, en tant que mère, mais pas de sentiment de colère envers les autres ou de rejet de ma fille. » Élodie est passée par une période de repli et de fusion avec Andréa, qu’elle était la seule à pouvoir prendre dans ses bras. Elle évoque la « double peine » des proches, notamment les grands parents, pour leur enfant et petite fille mais aussi la nécessité de mettre à distance les gens qui pleurent, pour se protéger de leur chagrin. Petite et toute menue, Élodie dégage une volonté inébranlable d’avancer, quitte à renoncer à beaucoup de choses. « C’est difficile d’élever une enfant à Paris. Mais penser pouvoir avoir une vie normale avec un enfant handicapé, c’est impossible. Je n’ai jamais pu reprendre mon travail, il n’y avait personne pour la garder. J’ai demandé à Louis d’arrêter de travailler pour gérer à deux et faire une pause, ensemble. Quand votre bébé subit une gastrotomie à 9 mois et que son pronostic vital est engagé, il faut trouver un nouveau sens à la vie. » Pour ne pas tomber dans le piège de l’isolement et d’une forme de mort sociale, le couple s’est lancé dans un véritable projet de vie pour devenir les acteurs d’une situation qui, autrement, les laissait dans le désespoir le plus profond. Si Élodie et Louis sont résilients, ont-ils d’ailleurs un autre choix, ils sont aussi profondément tournés vers les autres. « Andréa nous a fait sortir de notre zone de confort. Ce n’est pas grave de ne plus être fait pour le monde et le rythme de l’entreprise. Il fallait s’échapper d’une réalité trop lourde à gérer ; on avait besoin de rêver. On a acheté un corps de ferme sur un coup de tête et on s’est dit qu’on allait faire pousser des tomates, se former à la permaculture… On avait tout quitté en un mois seulement puis on a déménagé 6 fois en presque deux ans. » Depuis le projet est devenu, par un travail acharné et le maillage d’un réseau bienveillant sur le territoire, un projet de lieu de répit inclusif, mûrement réfléchi et construit, Coup de cœur régional du dernier concours de la Fabrique AVIVA.

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“Revendiquer un statut d’aidant”

« Il n’y a pas d’établissement pour placer notre fille. Ça n’existe pas. On ne peut compter que sur nous-mêmes et tout repose sur nos épaules, ce qui nous oblige à tenir, malgré l’épuisement. C’est pour cette raison que la santé des aidants est un sujet de santé publique. On a un problème avec le rôle dit naturel de l’aidant. On fait comme si c’était normal de prendre en charge ses proches quitte à arrêter de travailler, quitte à s’isoler socialement. A partir du moment où l’on est amené à faire des choses qui ne sont pas du domaine de la parentalité – donner à manger à sa fille à la seringue dépasse le rôle de parent – et que l’on ne peut pas reprendre son travail, on doit revendiquer un statut d’aidant. Nous sommes des dommages collatéraux d’une société qui ne prend pas sérieusement en charge les situations de handicap. Des études essaient d’estimer les coûts économisés grâce au travail des aidants familiaux mais c’est impossible d’évaluer le travail des aidants. Moi, je travaille 24h/24 et 7j/7. » Élodie mesure sa chance d’être en couple, entourée par deux familles et de nombreux amis. « Comment font les parents seuls ? A nous deux, on a un bac +10 et on s’est senti paumé ! On ne comprenait rien quand les médecins nous parlaient, on ne comprenait rien au langage administratif. Pourtant, Louis est juriste. On découvre encore aujourd’hui nos droits alors que l’on a vu des tas d’assistantes sociales. J’aurais aimé que l’on me donne une feuille avec mes droits de base et les acteurs de l’aide aux aidants à proximité… ». Parce qu’ils sont jeunes et volontaires, ils bataillent pour ces aides auxquelles ils ont droit mais dont l’obtention est un vrai casse-tête. Leur expérience et leur envie d’affirmer leurs droits les a incités à venir en aide à d’autres aidants, peut-être plus démunis. « L’objet de notre association « Le Laboratoire de répit » est d’œuvrer au soutien des parents d’enfants en situation de handicap. On a aussi créé un rendez-vous des parents extraordinaires, qui est un groupe de parole et une plateforme de mise en relation entre les acteurs de l’aide aux aidants et les parents. J’ai découvert, au travers de ces rendez-vous, une vraie force de vie chez les aidants. »

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L’innovation sociale pour agir là où des besoins ne sont pas couverts par la société

Pour Élodie, l’innovation sociale va naturellement là où de réels besoins sont peu ou pas couverts par la société, ce qui est le cas du besoin de répit des aidants. « La brique séjours de répit de notre projet, axé sur le slow tourisme et le bien-être, s’est ajoutée naturellement quand on a découvert qu’on était devenu des aidants familiaux. On apporte notre contribution en proposant un lieu de répit pour tous, un lieu où les gens pourraient retrouver un peu de simplicité de leur vie d’avant, se retrouver en tant que personne, se retrouver en tant que couple et ensuite seulement en tant que parent d’enfant en situation de handicap… » Mais l’ambition du projet va au-delà et Élodie répond à de plus en plus de sollicitations sur Paris pour porter la voix des parents d’enfants en situation de handicap. « L’inclusion, c’est un mot à la mode mais l’inclusion devrait être la norme. Pour cela, il faut des lieux qui permettent de changer le regard des personnes sur le handicap. Quand il n’y a pas d’inclusion, il y a de l’exclusion, avec des parents qui perdent leur emploi ou se retrouvent seuls. Encore une fois, pensez aux mamans qui sont seules… L’attention que l’on porte, ou que l’on ne porte pas aux enfants en situation de handicap, en dit long sur les valeurs de notre société. »

“On n’est pas des super héros”

Pendant l’entretien, Louis était sur le corps de ferme, en chantier depuis plus d’un an. Une partie de son énergie passe dans les travaux, entouré par des artisans bienveillants et des amis solidaires. Élodie se consacre à la recherche de financements, au tissage de partenariats et à la communication pour assurer la visibilité de leur projet, auprès notamment des acteurs politiques du territoire. Le chantier est loin d’être terminé et les revenus du jeune couple se raréfient mais ils assument leur choix avec une foi inébranlable et la pratique d’une forme de sobriété heureuse. « On n’est pas des super héros. On a été dévasté, on a encaissé, on n’aurait pu se replier mais on a décidé de s’ouvrir aux autres, d’être des bâtisseurs. Construire plutôt que s’écrouler. On rebondit tout le temps, On ne s’arrête jamais. Un sourire d’Andrea et on ne redescend pas de la journée. Quand elle n’est pas bien, notre énergie baisse. Elle va chercher en nous des ressources qu’on ne suspectait pas. Il y a peu d’enfants qui ont autant appris à leurs parents, en si peu de temps. Le projet, c’est notre lampe torche dans ce tunnel qui, sinon, n’a pas beaucoup de lumière au bout. On ne peut pas rester à attendre l’issue comme ça. On crée nos emplois de demain et on fait des rencontres uniques car Andréa est un aimant à belles rencontres. Enfin, ce projet, c’est ce que l’on construit à trois. Comment nous serons, comment ce sera quand elle sera plus là, personne ne peut le dire… » Mais il est fort à parier qu’Élodie et Louis continueront à mettre leur expérience et belle énergie au service des aidants.

Propos recueillis par Nathalie CUVELIER


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